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Présentation de Louise Gentil, docteure en histoire médiévale (2024)

                   Spécialisée en histoire de l’Italie médiévale, et en particulier de la Lombardie, je m’intéresse au travers des documents de la pratique à l’organisation de la production agricole et des spatialisations qu’elle implique.

            J’ai soutenu en novembre 2024 une thèse de doctorat intitulée Écrire la terre à l’abbaye de Chiaravalle milanese (XIIe-XIVsiècle). Une histoire économique et sociale de la documentation d’une abbaye cistercienne. Je l’ai réalisée au LaMOP sous la direction de Laurent Feller et en cotutelle avec l’Università degli studi de Milan où j’étais dirigée par Paolo Grillo. Mon enquête entremêle trois fils de réflexion permettant d’interroger les pratiques de spatialisation chiaravalliennes et les rationalités économiques qui rendent possible la gestion de son patrimoine foncier au travers de l’administration documentaire. Pour comprendre cette organisation, il a été nécessaire de dépasser les filtres modernes et contemporains au travers desquels la documentation médiévale nous est désormais accessible.

            Le premier fil est celui de la réflexion archivistique menée sur l’histoire du fonds afin de comprendre comment la création du corpus institutionnel de Chiaravalle sur le temps long (XIIe-XXe siècle) a débouché sur la construction d’un espace documentaire aujourd’hui structuré chronologiquement. Cette partie du travail est organisée de manière régressive en partant du cadre actuel de conservation des fonds pour remonter à leur état médiéval. L’objectif est de restituer l’histoire heurtée du fonds de l’abbaye de Chiaravalle qui conduit sa documentation médiévale à être aujourd’hui conservée dans deux fonds « institutionnels » à l’Archivio di Stato di Milano : le fonds de Chiaravalle lui-même et le fonds du monastère de Sant’Ambrogio. Cette histoire archivistique est à la fois le fait d’évolutions institutionnelles liées au moment commendataire mais également au travail d’Ermete Bonomi (1735-1813), l’un des derniers moines de Chiaravalle et archiviste de son état. Au tournant des XVIIIe-XIXe siècle, en lien avec la naissance de la science diplomatique et la création des institutions d’archive, il a entièrement réorganisé chronologiquement et retranscrit le fonds médiéval de son abbaye, le faisant ainsi passer du statut de somme garantissant droits et biens à celui de source historique.

            Le second fil se concentre sur les modalités médiévales de production et de conservation de ces documents, mobilisés par l’institution pour valoriser son patrimoine foncier en protégeant ses biens et ses droits et en organisant leur gestion. J’ai ainsi reconstruit les anciennes structures du fonds médiéval chiaravallien – à travers l’étude des notes dorsales, des pratiques de pliage et d’enroulement – en mettant au jour l’organisation spatiale des documents et l’évolution de ces classifications entre XIIe et XIVe siècle, en les corrélant aux transformations foncières qu’a connues le patrimoine de l’abbaye au fil du temps.

            Enfin, le troisième fil s’attache aux conceptions spatiales élaborées par la communauté monastique et véhiculées par les documents qu’elle a produits et conservés. Ces conceptions, pour partie symboliques, ont structuré l’espace économique et social construit par l’abbaye. Pour les restituer j’ai d’abbord brossé le parcours chronologique en cinq phases – qui structurent le passage des années 1130 aux années 1330 –  retraçant la construction progressive du patrimoine chiaravallien, tiraillé entre logiques monastiques, communales, impériales et pontificales. L’ensemble de la documentation issue du chartrier et des différentes compilations médiévales y est mis à contribution. Ce tableau des biens et des droits du monastère – l’un des plus riches de la péninsule Italienne au Moyen Âge – n’avait jusqu’à présent jamais été dressé et son exposition constituent un préalable à la compréhension des logiques documentaires et économiques exposées ensuite. Vient ensuite l’étude croisée de trois documents compilatoires : deux rouleaux de ré-authentification d’actes et un cartulaire codex. Ces documents donnent à voir trois manières dont la communauté monastique pense, se représente et met en défense son territoire. Pour terminer, je m’attache à saisir les paysages économiques de la basse plaine lombarde rendus visibles par la documentation chiaravallienne. J’y traite de la manière dont l’organisation de l’exploitation du patrimoine foncier évolue entre le XIIe et le XIVe siècle, passant de la gestion directe à la signature de grands contrats de location, une évolution qui permet paradoxalement un accroissement de la domination du monastère sur les granges. Les rôles des convers comme intermédiaires seigneuriaux sont aussi abordés, ainsi que la manière dont la communauté concentre ses investissements, à partir du XIIIe siècle, dans les consortiums d’irrigation et les installations moulinières qui se multiplient au pied des murs de la ville de Milan.

            Ce travail doctoral se situe au confluent des dynamiques de recherche du laboratoire dont mes réflexions se sont nourries au sein des multiples séminaires que j’ai fréquentés durant mes années de thèse. La scripturalité, son lien avec les processus de gestion, mais aussi les spatialités tant archivistiques qu’économiques, tout à la fois mobilisées et produites par les scripteurs ont ainsi été au cœur de cette recherche.

            Aujourd’hui post-doctorante au Collège de France pour un an, sous la direction de Patrick Boucheron et François-Xavier Fauvelle dans le cadre de la chaire « Avenir Commun Durable », je m’intéresse aux évolutions épistémologiques qui ont amené ces cinquante dernières années à la constitution du champ des humanités environnementales.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Alexandre Vergos (21 février 2025). Présentation de Louise Gentil, docteure en histoire médiévale (2024). Les carnets du LaMOP. Consulté le 24 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13cou


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