Hommage à Paul Benoit (1936 – 2024)
Paul Benoit (18 septembre 1936 – 18 décembre 2024)
Paul Benoit passe une partie de sa jeunesse à Marseille où il effectue ses études secondaires au lycée Saint-Charles. Il poursuit ses études universitaires d’histoire à l’université d’Aix-en-Provence où il bénéficie des cours de Georges Duby. Professeur dans le secondaire à Moissac puis, après l’agrégation, à Tours, il rejoint en 1969 l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en tant que chargé de cours puis, à partir de 1972, maître de conférences en histoire médiévale. Après avoir soutenu une thèse d’État intitulée Les mutations techniques et scientifiques de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance sous la direction de Michel Serres, il devient professeur d’histoire des techniques en 1996, poste qu’il occupe jusqu’à son éméritat en 2005.
Historien de formation, médiéviste membre du laboratoire de médiévistique occidentale de Paris (LaMOP UMR 8589), Paul a aussi porté son regard et sa recherche sur la première modernité. Il ancre très tôt sa pratique dans une analyse exigeante des textes couplée à un travail de terrain. Son activité d’archéologue découle tout naturellement de son sujet d’études. En effet, sa conception de l’histoire des techniques, articulée à l’histoire économique, le conduit à exploiter toutes les ressources utiles à la connaissance des moyens de production, qui incluaient les vestiges matériels comme les images.
Paul Benoit s’intéresse dès le début des années 1980 à l’histoire des mines, dirigeant les fouilles archéologiques des mines de fer de Minot et de celles dépendant de l’abbaye de Fontenay en Bourgogne, ainsi que les mines d’argent de Jacques Cœur à Pampailly dans les Monts du Lyonnais. Il étend les recherches au bâti, à l’habitat ou aux installations de préparation et de traitement du minerai. Les procédés minéralurgiques et l’élaboration des métaux constituent alors le cœur de ses enquêtes. Dans ces domaines, il devient un pionnier d’une interdisciplinarité aujourd’hui largement pratiquée. Il noue des contacts étroits avec un grand nombre de spécialistes des sciences des matériaux comme Philippe Fluzin ou Alain Ploquin, chercheurs ayant contribué à la mise en place de méthodes d’analyse des vestiges issus de la fabrication des métaux : minerais, scories, produits semi-finis ou objets en métal. Paul considère que la connaissance des matériaux issus de chacun des stades de la chaîne de fabrication permet de comprendre les procédés, les savoir-faire anciens mais aussi de retracer les provenances et donc les circuits d’approvisionnement. Dans le même esprit, il développe et promeut l’archéologie expérimentale, en particulier à l’abbaye de Fontenay. L’objectif est de tester les hypothèses de fonctionnement des appareils et des machines, par exemple en élaborant du fer dans des bas fourneaux à partir du minerai issu des mines qu’il fouille lui-même. Plus tard, au milieu des années 2000, il se lance un défi : reconstituer la roue et le marteau hydraulique de l’abbaye. Ce n’est pas sans émotion que le chant du marteau sur l’enclume résonne dans la vallée quelques années après, en 2008, lorsque des barres de fer sont martelées. Par cette opération, ainsi que par les expositions qu’il organise, l’historien archéologue partage avec un large public les connaissances scientifiques acquises.
La fouille de Fontenay et les souvenirs de l’enseignement prodigué par Georges Duby conduisent Paul Benoit à fréquenter les abbayes cisterciennes sous l’angle de l’économie et de leur rôle dans l’innovation technique, sur les pas de Bertrand Gille. Cet attrait pour les moines blancs ne l’a jamais quitté, il étend ses recherches au quart nord-est de la France et même largement au-delà, en s’inscrivant dans l’histoire quantitative quand il aborde l’industrie du cuir à l’abbaye de Beaulieu, en Angleterre. Il met en avant les spécificités de l’économie cistercienne des XIIe et XIIIe siècles. Encore très récemment, entre 2016 et 2018, Paul étudie avec l’historienne Joséphine Rouillard, sa compagne, le système hydraulique et les carrières de pierres de l’abbaye Saint-Maurice de Carnoët (Finistère).
Doté d’une curiosité insatiable pour la matérialité et les pratiques, Paul Benoit oriente ses travaux vers bien d’autres champs de la recherche médiévale, remarquables par leur diversité. Il s’empare de l’intérêt naissant pour la place du fer et du plomb dans le bâtiment dans les années 1980 et en développe l’étude en grimpant avec des architectes dans les combles des cathédrales. À côté des métaux, la pierre, sa provenance, les techniques et l’économie de son extraction, son emploi dans la construction l’entraînent tout au long de ses activités dans un dialogue constant avec les géologues, parmi lesquels Jacqueline et Claude Lorenz, ou l’archéologue Marc Viré, au sein du séminaire Carrières et constructions. Paul ne limite pas son appétence pour l’hydraulique aux abbayes cisterciennes, mais il applique ses méthodes à l’étude de tous les moulins à blé ou industriels, à la gestion de l’eau à usage des monastères mais aussi des villes. Il s’occupe de l’économie des pêcheries, des questions touchant à l’adduction, au pompage, ou encore à l’évacuation des eaux, à Paris et ailleurs. Il aborde ainsi l’histoire de l’environnement, notamment au sein du programme PIREN-Seine, dans lequel il s’investit dans la durée en travaillant avec des géochimistes et des microbiologistes. Il laisse inachevée une publication sur les meules du Moyen Âge et de la période moderne, pour laquelle il avait réuni une masse considérable de documents.
Auprès de Guy Beaujouan, Paul cultive son intérêt pour l’histoire des sciences, en particulier celle des mathématiques. Entre 1981 et 1988, il publie des travaux sur les techniques de calcul destinées aux marchands, mettant en lumière des œuvres méconnues. Son intérêt pour les phénomènes monétaires, économiques et la comptabilité trouve dans cette documentation un nouveau terrain allant des calculs jusqu’à la fabrication des monnaies, des savoirs savants aux savoir-faire. Il collabore avec Claude Thomasset et Danielle Jacquart à une histoire de la construction du français scientifique. En étroite collaboration avec Michel Serres, il participe à l’écriture d’Éléments d’histoire des sciences (1989). Dans cet ouvrage, il offre une synthèse plus générale de ces mathématiques à l’aube de la Renaissance. Dans le même volume il contribue à un article sur les sciences arabes, coécrit avec Françoise Micheau, alors sa collègue à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ses travaux l’ont mis en contact avec des historiens des mathématiques très différents quant aux objets d’études et aux espaces considérés allant de la Chine jusqu’au monde arabe avec Karine Chemla, et Ahmed Djebbar.
Tous les champs de recherches défrichés et labourés par Paul l’ont mené de l’Afrique au Yémen, du Portugal à Chypre ou à la Sicile. Convaincu de l’intérêt de l’interdisciplinarité, il est animé pendant toute sa carrière par la certitude que la recherche ne se fait pas seul, du moins dans les domaines où il œuvre. Ses travaux ont donné lieu à de nombreux échanges avec ses pairs, par exemple dans le cadre du groupe « H27 », devenu la Société archéologique française d’étude des mines et de la métallurgie (SAFEMM), dont il est l’un des fondateurs en 1982. Il a dirigé de nombreux programmes collectifs de recherches et organisé des colloques nationaux ou internationaux.
Dans chacune de ses spécialités, Paul Benoit peut être fier d’une postérité scientifique remarquable. Tout au long de sa carrière, en grande partie dédiée à la recherche, il a été un enseignant hors pair. Il disait le bonheur qu’il avait éprouvé à enseigner aux collégiens et aux lycéens de Moissac et de Tours. À la Sorbonne, il a durablement marqué plusieurs générations d’étudiants. En licence, ceux-ci découvraient une autre histoire en prenant connaissance du fonctionnement des pompes, des horloges mécaniques, de l’artillerie à poudre, de la ventilation des fours et de la chimie des matériaux. Il y a 30 ou 40 ans, la prise en compte des sources matérielles, l’approche de la société médiévale par les techniques, les sciences de l’environnement et l’archéométrie était atypique. En décalage avec une histoire uniquement construite sur les sources textuelles, Paul Benoit attirait de nombreux étudiants en master et en doctorat, avec la complicité de Robert Fossier quand il n’était pas encore professeur. L’enseignant, toujours curieux de l’avis et des découvertes des jeunes chercheurs, transmettait, par la confrontation d’idées, son approche stimulante, en particulier lors de son séminaire Énergie et matériaux organisé pendant plus de 20 ans au centre de la rue Malher à Paris. Ouvert aux professionnels, il avait lieu le samedi. Aujourd’hui, ils sont plusieurs dizaines d’anciens étudiants pouvant revendiquer cet héritage acquis au contact de Paul : historiens et archéologues, en poste dans les universités, au CNRS, au ministère de la Culture, dans les musées ou encore acteurs de l’archéologie préventive ou associative.
Esprit exigeant, parfois rugueux, détestant les spéculations stériles, se méfiant des compromis, Paul ne manquait pas de prendre un air amusé, espiègle, souvent suivi d’un avis direct et quelques fois tranchant. Il parlait sans détour et en demandait autant à ses élèves, collègues et amis. Si son image est souvent associée à sa longue barbe, il laisse avant tout le souvenir d’un esprit curieux, celui d’un homme fidèle en amitié, généreux dans ses recherches et son enseignement. C’était un médiéviste qui aimait partager ses intuitions, débattre et échanger sur notre passé comme sur les affaires du monde présent.
Danielle Arribet-Deroin, Stéphane Lamassé, Benoît Rouzeau et Nicolas Thomas
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Alexandre Vergos (23 décembre 2024). Hommage à Paul Benoit (1936 – 2024). Les carnets du LaMOP. Consulté le 20 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12zqy
Merci pour cet hommage à Paul Benoit, mon directeur de thèse, avec Robert Fossier, en 1985-1988.
Ayant abandonné la recherche, je n’ai guère gardé de contacts avec lui, mais je retrouve ici les traits de caractère d’un professeur sachant partager et communiquer non seulement ses connaissances mais l’énergie de ses projets.
Sincères condoléances à ses proches.