Focus : « Le rôle du clergé de la cathédrale dans la formation, l’organisation et la gestion de l’espace urbain et péri-urbain chartrain, genèse et postérité d’un territoire médiéval »

« Le rôle du clergé de la cathédrale dans la formation, l’organisation et la gestion de l’espace urbain et péri-urbain chartrain, genèse et postérité d’un territoire médiéval » par Laurent COULON sous la direction d’Hélène NOIZET :
Dans un paysage dominé par la haute silhouette de la cathédrale, la ville de Chartres et ses abords forment à la fin du Moyen Âge et à l’époque moderne un espace spécifique. Les évêques et le chapitre cathédral ont été les principaux acteurs de la formation de cet espace. Il s’agira de préciser la forme et la temporalité de cette morphogenèse spatiale. L’évolution des dynamiques relationnelles entre ces deux acteurs et leurs répercussions spatiales servira de toile de fond à cette étude.

Si la ville est relativement aisée à délimiter, l’espace péri-urbain est plus compliqué à saisir et englobe des réalités mouvantes. Le passage de la notion de suburbium à celle de banlieue permet néanmoins de préciser et choisir un espace comprenant la ville, les faubourgs, la banlieue et une « couronne » de paroisses limitrophes à cette dernière. La banlieue, correspondant à une juridiction temporelle et spirituelle qui échappe à l’évêque et aux archidiacres, dépend uniquement du doyen du chapitre. Tandis que la « couronne » des paroisses limitrophes, située hors de la juridiction du doyen mais fortement contrôlé par le chapitre en tant que communauté, accueille le chef-lieu de trois des quatre principales circonscriptions organisationnelles des possessions du chapitre. En définitive cela concerne un espace de cinq à dix kilomètres de rayon autour de la ville.

Sur le plan de la temporalité, trois grandes phases peuvent être distinguées. Dans un premier temps, sous la conduite de l’évêque la ville et surtout le suburbium connaissent une période d’aménagement et de relèvement qui débute vers le milieu du Xe siècle. Ce mouvement atteint son apogée avec la reconstruction de la cathédrale sous la houlette de l’évêque Fulbert. À partir de la seconde moitié du XIe siècle, la ville connaît un essor sensible qui se prolonge jusqu’à la fin du XIIe siècle. Dans le même temps le chapitre s’émancipe progressivement de l’évêque, et débute, pour lui, une longue période d’acquisitions immobilières et foncières dans la ville, le suburbium et le reste de l’espace extérieur, encore mal connu. Ces acquisitions sont le fait de chanoines qui lèguent où cèdent au chapitre des biens, tenus en propre ou récemment acquis. Ces donations permettent au chapitre de constituer un patrimoine non affecté aux prébendes.
Cette première grande phase se clôt à la fin du XIIe siècle sur une série de moments clés. La ville, qui s’est largement étendue, est ceinturée par une nouvelle enceinte, définitive, qui fige en grande partie le tissu urbain intra-muros. Après l’incendie de 1194, le chantier de construction de la cathédrale gothique est lancé sous l’impulsion du chapitre. Il sera rapide. Le chapitre connaît une réforme organisationnelle et fonctionnelle.

Dans un second temps, à partir du début du XIIIe siècle, la ville atteint son acmé médiévale. Elle connaîtra encore quelques extensions et modifications, mais ce sera limité et à la marge. La cathédrale et le cloître canonial deviennent la « grande affaire » du chapitre, qui continue ses acquisitions immobilières et foncières, par le biais des donations, qui portent de plus en plus sur la banlieue et le reste de l’espace extérieur, de mieux en mieux connu. Des indices permettent de penser que c’est à ce moment qu’est mis en place un mode de gestion relativement original pour la gestion du patrimoine canonial non affecté aux prébendes. C’est également à cette période que le chapitre, face à l’évêque et au comte, semble affirmer de plus en plus fortement ses prétentions au temporel et au spirituel. Phénomène exacerbé à partir du milieu du XIIIe siècle par la volonté du chapitre de clore le cloître canonial. Clôture qui deviendra effective au début du XIVe siècle.
Cette seconde grande phase s’achève dans les premières décennies du XIVe siècle par la réalisation de « compromis » entre le chapitre et le comte (1306) et entre le chapitre et l’évêque (1328). Mais aussi par une mise par écrit exhaustive des possessions et des droits du chapitre (1300) et de l’évêque (peu après). Enfin par la concrétisation de la fermeture du cloître qui, par son ampleur, va marquer durablement l’espace urbain et les relations entre le chapitre et la ville.

Dans un dernier et troisième temps, à partir du milieu du XIVe siècle, la ville et son arrière-pays doivent faire face aux différentes difficultés du temps. Si les acquisitions foncières et immobilières du chapitre diminuent, les donations des chanoines concernent de plus en plus des fondations, multipliant ainsi les chapelles et les offices dans la cathédrale. L’évêque et le chapitre doivent s’adapter et apporter des réponses aux problèmes qui surgissent. Ils aident ponctuellement les populations, par exemple en ouvrant leurs greniers ou en contribuant à la mise en défense de la ville et de ses abords. Au XVe siècle, l’occupation bourguignonne de la ville, de 1417 à 1432, provoque des scissions au sein du chapitre, l’effondrement de la ration de grain des prébendes, entre 1417-1420 et 1463-1465, aboutissent à la non résidence de nombreux chanoines. Le chapitre doit gérer un important parc immobilier en déshérence, et, en réponse, ouvre le cloître aux laïcs en leur louant les maisons canoniales inoccupées et en assouplissant les règles concernant la clôture. Le retour des absents et la reprise en main du cloître ne se fera pas sans heurts ni conflits. Les dernières décennies de ce siècle correspondent à une remise en état de l’espace péri-urbain et à un rétablissement de la prospérité.
Cette troisième grande phase se termine pendant les premières décennies du XVIe siècle symboliquement par le retour, pour le chapitre, d’une volonté d’embellissement de la cathédrale avec la construction de la flèche en gothique flamboyant du clocher nord et le lancement d’un tour de chœur monumental richement sculpté.